L'espoir de Ségal

 

De l'Aberwrach jusqu'au Conquet,

Du bord extrême de cette pointe Ouest tant effilée,

Entre cette côte encore sauvage, et cet océan démonté

Vit une île, un navire irrémédiablement échoué.

 

Par le calme d'une journée aux horizons brumeux,

Elle se prépare, autant que faire se peut,

Remplissant ses cales, ses réservoirs vaseux

D'algues vertes, de goémons sur ses plabords rocheux.

 

Depuis des jours, son équipage minutieusement le prépare,

Cet embarquement, dont le temps semble sonné le départ,

Annoncé comme imminent, la foule alentour se masse de toute part,

A cet appareillage inespéré, chacun au fond de lui, désire prendre part.

 

Mais auparavant, sur le rivage de cette roche creusée,

Tel un théâtre de plein air, aux bancs improvisés

Des spectateurs inconnus, toute une nuit ont veillé,

Dans l'attente du lendemain et de sa cérémonie fièrement célébrée.

 

Ainsi, en ce lieu, ils auront fait la fête,

Au rythme ennivrant du ressac et de la lyre,

Balançant l'ombre de leurs corps et de leurs têtes,

Ne semblant en rien perturber la quiétude du grand navire !

 

Pourtant, cet endroit aurait très bien pu accueillir,

Une troupe de brigants, ou plutôt de naufrageurs,

Qui, de ces trouées vers le large font jaillir

Les lumières étincellantes, de leurs feux trompeurs et ravageurs.

 

Au Porz Tévigné, leurs chaloupes attendent à l'abri,

Leurs mains sur les bordées, leurs yeux fixés sur cette vigie,

Ce rocher, du haut duquel, chaque proie est annoncée,

Quelques milles encore, et le signal d'une mise à mort décidée.

 

On se demande même, si sans aucun remords,

Ségal n'a pas été leur victime d'une nuit,

Une épave entre la vie et la mort,

Un bout de terre en survie !

 

En tout cas, quelqu'ils soient, quelques furent leurs intentions,

Nombreuses sont les empreintes laissées sur la plage,

Nombreux sont les indices de leurs passages,

Qui lui témoigne un intérêt certain, une toute particulière attention.

 

Mais, qu'ils se hatent, tous ! La marée monte !

Le jour se lève ! Plus de cauchemard, ni de honte !

Son énorme silhouette a laché les amarres, elle semble partie,

Souhaitant enfin accomplir, le plus fous de ses défis.

 

Aux crêtes des vagues, elle présente ses flancs regaillardis,

Des rayons du soleil, elle puise l'ensemble de son énergie,

De son plabord vert-roux, juché sur les hauts de ce sillage épais,

Dans un contre-jour magique, émane un havre de paix.

 

Et même si la houle se formait, si le vent se renforçait,

Les Fourches sont là, toujours parés ! Ségal le sait.

Pourfendant de leurs étraves puissantes ses lames régulières,

L'entourant de ses brins, ils sont ces inépuisables travailleurs de la mer.

 

Inlassables, inusables, ce sont ses meilleurs alliés,

Sa chance ultime pour prendre la mer, enfin naviguer,

Rejoindre Ouessant, au moins faire la traversée,

Tel la "Grande Arche", voulant préserver une part vivante de cette terre sacrée.

 

Mais quand au loin, Mouzou annonce son arrivée

Par son sillage phosphorescent dans ce jour-presque nuit,

C'est que le pilote a tout tenté pour aujourd'hui,

Goatloc lache ses derniers rayons, et Ségal est là, échouée.

 

Victime d'une bataille indécise, elle dévoile à travers cette presqu'île,

Non cette île … et toujours cette presqu'île,

Une véritable invitation au voyage et à son cortège heureux et douloureux,

Une simple prière de délivrance au Maître des Cieux.

 

 

Emmanuel Guyétand, Brest, le 23 Juillet 2000.