Henry de Monfreid (1879-1974) quitte la France à trente-deux ans, lorsque l'appel de la mer le jette définitivement dans l'aventure. Celui qu'on a appelé "l'écrivain-corsaire", encouragé par Joseph Kessel, a composé une oeuvre propre à faire rêver, digne des plus grands conteurs d'autrefois, mais ici tout est vécu.
Sa vie de flibustier commence en août 1911. alors qu'il s'embarque pour Djibouti. Là bas. le négoce du café ne l'exalte guère : il construit de ses mains son premier bateau, L'Altaïr, et se lance dans l'exploration des bords de la mer Rouge. Les mouillages de la côte n'ont bientôt plus de secret pour lui. L'administration n'hésitera d'ailleurs pas, par la suite. à utiliser ses talents pour espionner des installations militaires turques. Dans cette région en pleine ébullition, Monfreid comprend rapidement l'intérêt que peut représenter la vente d'armes aux tribus insoumises A la barre de son boutre, il se fait trafiquant, dirigeant lui-mème ses expéditions, partageant la vie ascétique de ses marins, apprenant leur langue, allant jusqu'à se convertir à l'islam et prendre le nom d'Abd el Hair " l'Esclave du Vivant ". Monfreid se lance également dans la culture et le négoce des perles. mais son insolente réussite, ses trafics incessants, son mépris du monde colonial, font de lui une victime idéale pour l'administration S'ensuivent de nombreux procès, des amendes, des peines de prison... Peu à peu, le haschich remplace les armes : les expéditions l'entraînent de plus en plus loin et donnent parfois lieu à d'épiques poursuites. Les bénéfices de ces trafics sont investis dans une minoterie et dans une centrale électrique.
Au cours de ces multiples périples. son étrange personnalité séduit des hommes aussi différents que Teilhard de Chardin, Vaillant-Couturier ou Joseph Kessel. C'est d'ailleurs ce dernier qui lui conseillera de narrer ses aventures. Ses premières publications sont un succès En 1933, chassé d'Ethiopie par le négus. il se retrouve en France et s'essaie avec réussite au journalisme dans les plus grands quotidiens de l'époque. Mais la période troublée de l'entre deux guerres voit Mussolini lorgner sur l'Ethiopie : Monfreid soutient activement les thèses expansionnistes de l'Italie. En 1942, le vent a tourné, il est déporté au Kenya par les troupes britanniques, avec les prisonniers italiens, dans des conditions éprouvantables. Libéré, il se retire dans une cabane au milieu de la forët, sur les pentes du mont Kenya. Là, il chasse et peint pour subsister.
Craignant l'Epuration, Monfreid ne se décide à retourner en France qu'en 1947 et s'installe, loin de la mer, dans le Berry, où il ne cesse d'écrire et de peindre. C'est dans son sommeil, à 95 ans, que ce forban. peintre, écrivain, pëcheur de perles, contrebandier qui a longtemps rèvé à Rimbaud. " cet autre fou ", s'éteint. Il laisse à la postérité plus de 70 ouvrages, inspirés de ses périples fantasques, marqués par le goût de l'action et la violence de l'aventure à travers l'Afrique abyssine.
"J'embarque le dernier, j'abandonne l'épave ! ...
Rien ne pourra dire l'angoisse poignante et le déchirement de cet abandon ! La barque
s'éloigne ...
Ce n'est rien de périr avec son bateau, je le comprends clairement dans cette minute
déchirante et je pense au vieux capitaine qui a préféré aller par le fond que de
laisser son bateau s'engloutir seul.
Je fais dégager les mâts, les vergues et tout le gréement qui pourra servir, car
j'ai repris mon courage dans la volonté de reconstruire un autre bateau.
Quand l'adversité nous frappe, il faut résolument tourner le dos au passé, garder
seulement le souvenir de la leçon que toujours il comporte et qu'un but nouveau devienne
le seul objectif.
L'espoir est un genre de vie, les regrets ne sont que des cendres !" (Extrait des
"Secrets de la Mer Rouge")
Pour meiux le connaître lire le dossier du "Guide du ROUTARD" par Thibaut Pinsard .
D'après : L'agenda Marine 1997 (Edition Coeur de France 29, rue de Versailles 78150 Le Chesnay)